2021, Le 3 mai, Emmanuel Bloch, qui étudie la tradition juive, originaire de Colmar (Alsace, France), habitant actuellement aux Etats-Unis écrivait ce petit écrit à propos de la fête de Shavuot/ des Semaines et le comput de la date. Voici son texte qui correspond, comme l’auteur l’indique, en une traduction libre du texte en anglais : “https://www.thetorah.com/article/when-does-counting-the-omer-begin?fbclid=IwAR3TaRn5ayFeLbRXnWryBrapza0WN876IjPodqHvcsX2Rml6jL5KLQNjSAI” des Prof. Marvin A. Sweeney et Dr. Rabbi Zev Farber paru dans la revue en ligne “Torah.com”. Voici le texte d’emmanuel Bloch :
Torah et calendrier: vous savez certainement que Chavouot est la seule fête du calendrier juif qui n’a pas de date fixe. Mais vous ne savez (peut-être) pas qu’il y a QUATRE manières envisageables de calculer la date de Chavouot, et que TOUTES les options se fondent sur la même expression tirée du Lévitique 23:15 : ממחרת השבת.
Le « lendemain du Chabbat » : c’est la date qui lance le décompte des 7 semaines entre Pessah et Chavouot. Mais que signifie exactement cette expression ?
Deux questions interprétatives existent ici. Premièrement, le mot שבת fait-il référence au Chabbat ( = le samedi), ou bien à une journée de fête pour laquelle le repos (ש-ב-ת) est prescrit ? Deuxièmement, faut-il amener le ‘Omer après que toute la fête de Pessah soit passée, ou bien juste une partie de la fête ?
Les deux questions sont indépendantes, ce qui nous donne 4 lectures possibles pour cette même expression biblique. Or, ce qui est vraiment passionnant, c’est que TOUTES ces lectures ont été retenues dans l’Antiquité – chacune des quatre lectures par une autre partie du peuple juif.
En fonction de l’appartenance sociale, le décompte du ‘Omer commence…
1. Le dimanche après la fête de Pessah. La lecture la plus évidente du verset est de lire שבת comme “Chabbat” et de commencer le décompte après Pessah. C’est ainsi que lisaient les Esséniens, les Sadducéens, et les Samaritains. Ainsi, le Livre des Jubilées (15 :1-2) indique qu’Abraham célébrait Chavouot le 15 du mois de Sivan. Les Manuscrits de la Mer Morte ont le même décompte. Etc.
2. Le dimanche pendant Pessah. C’est la lecture des juifs karaïtes. Le sage karaïte Aaron ben Eliyah, dans son livre Gan Eden, argumente longuement contre la lecture des juifs rabbanites tels que Sa’adia Gaon : pour lui, si la Torah utilise le mot שבת, il n’y a aucune justification à lire le verset autrement qu’en référence au Shabbat.
3. Le jour suivant la fin de Pessah. C’est la lecture des juifs Ethiopiens (Beta Israël) : שבת est lu comme une référence au deuxième jour de fête. Cette lecture place Chavouot le 12 Sivan.
4. Le jour suivant le début de Pessah. C’est la lecture qui nous est familière, mais pas forcément la plus évidente dans le verset. On la retrouve dans les sources rabbiniques, mais aussi chez Philon ou encore Flavius Josèphe.
Comme souvent chez les Juifs, l’organisation du calendrier religieux intersecte avec des questions profondément identitaires : en commençant à compter le ‘Omer le lendemain de Pessah, on affirme une certaine tradition religieuse, celle du Judaïsme rabbinique, et on rejette les autres traditions envisageables.
Et tout cela se base dans deux mots du verset de Vayikra 23:15…
Ainsi, il est tout-à-fait exact que “l’organisation du calendrier religieux intersecte avec des questions profondément identitaires”.
La fête des Semaines ou Chavouot selon l’écriture francophone aura lieu cette année le soir du 16 et le 17 mai 2021. On peut dire que la question strictement calendaire a été régulée.
Il se trouve que ce dimanche 2 mai, l’émission “Orthodoxie” diffusée dans le programme des émissions religieuses sur la chaîne du service public français “France 2”, dirigée par le père Jivko Panev a été consacrée au calcul, à la définition et donc la date de la fête de la Pâque – la résurrection de Jésus Christ – selon la tradition des Eglises orthodoxes.
“Le comput pascal” peut être vu en replay sur ce lien “https://www.france.tv/france-2/orthodoxie/2414383-le-comput-pascal.html”, diffusé le dim. 02.05.21 à 9h30 disponible jusqu’au 01.06.21 . L’émission est composée de deux parties : a) la question du comput pascal dans la tradition de l’Eglise roum-orthodoxe et b) des chants de la Pâque orientale proposé par un ensemble géorgien.
L’émission est, comme d’habitude bien structurée et filmée par Alexey Vozniuk. L’archevêque Job (Getcha) de Telmessos, enseignant, souligna que le calendrier julien resta longtemps en usage, y compris en Europe occidentale (Grande-Bretagne) et qu’il est toujours en usage dans l’Eglise orthodoxe russe. C’est ausi le calendrier officiel de l’Eglise de Jérusalem. Louis-Aimé de Fouqières, spécialiste des calendriers, expliqua le processus long et tâtonnant de l’établissement du calendrier du moins pour le domaine culturel et géographique des régions du pourtour de la Médittéranée. rappelle les sources romaines, sans doute prises en Egypte lors du voyage de Jules César puis les calculs, les ajustements.
Pierre Sollogoub, membre de la Fraternité Orthodoxe, parle avec réalisme qu’il faut pouvoir changer des habitudes liées à l’histoire ,voire à l’émigration et une sorte de “fossilisation” apparente sur des traditions, par exemple calendaires, qui s’ajustent mal aux dates des mêmes célébrations lorsqu’elles ont lieu dans un paysage “occidental” ou qu’elles utilisent le calendrier grégorien. Il faudrait aussi tenir compte de la réalité géophysique et retourner aux fondamentaux. Regarder la Lune, suivre son cycle mensuel, celui du soleil permettrait de revenir sur terre et de prendre de la distance par rapport à des calculs savants, difficiles à déchiffrer et qui, de toute façon, sont aujourd’hui erronés. Les lunaisons n’ont plus lieu au jour et à l’heure indiqués dans les siècles anciens.
Mgr Job de Telmessos précise que le choix de la date pascale dans les catégories byzantines ne se basait pas en référence au 14 Nisan comme étant la fête juive. Elle marque la mort de Jésus-Christ. Les calculs byzantins prennent en compte le cycle et la venue du printemps, donc un phénomène naturel qui n’est pas directement en rapport avec le cycle judaïque de l’époque.
C’est là que les intervenants ont souligné l’importance d’un rapprochements entre les Eglises et l’adoption d’une date unique pour la célébration de la Résurrection du Seigneur. Le souhait est sans doute légitime. Encore faut-il qu’il s’insère dans une vraie démarche de rapprochement entre des Eglises qui ont pris des chemins de traverse au cours des siècles. Souvent, la question n’est même plus théologique. Elle est devenue ethnographique, culturelle, sociale et/ou identitaire. Il n’y a même plus de référence directe à la vraie lunaison où le Christ est mort et ressuscité.
Comme souvent au cours de cette année, l’émission ne relie pas des points naturels (calendriers, lunaisons, saisons) à l’antique tradition du calendrier juif tel qu’il existait à l’époque du Christ. Or Celui-ci était et reste inscrit dans la culture biblique – voire talmudique si précieuse pour les saisons, les temps et les cycles (Galates). C’est aussi un long enracinement dans un agenda moyen-oriental qui existait dans le monde sumérien et s’est diversifié dans les différentes communautés chrétiennes d’Orient, voire l’islam.
Cela manque à l’émission. Il ne faut pas isoler l’orthodoxie qui a déjà des tendances locales affirmées en la déconnectant de l’histoire de la rédemption telle qu’elle s’est déroulé depuis la Genèse jusqu’aux Prophètes et aux Ecrits vétéro-testamentaires. Il reste que le sujet est bien abordé, de manière explicative.
On notera que le patriarche Theophile de Jérusalem s’est exprimé contre l’unification de la date de la Pâque en mentionnant précisément qu’il faut revenir aux sources scripturaires du calendrier, tenir compte des cycles tels qu’ils ont permis le déploiement des textes de l’ancien (ou Premier) Testament. Le patriarche souligne qu’il s’agit d’un préalable pour une bonne intelligence du Mystère de la Foi et une démarche commune enracinée dans l’Ecriture et la Tradition.
“La Lettre du Vicariat” qui est éditée en ligne ce mois de mai 2021 a profité de l’occasion d’une date de la Pâque particulièrement éloignée de celle de l’Eglise catholique et des Protestants cette année pour publier des éléments assez proches à ceux exprimés dans l’émission “Orthodoxie”. On lira avec intérêt “Questions sur la date de Pâques” cf. “http://www.orthodoxequimper.fr/files/downloads/lettre-mai_21-3.pdf”. L’article est bien documenté sur des sources rédigées en français par des enseignants prestigieux de l’Ecole de Paris. Elle ne fait aucune référence à l’aspect biblique, vétéro-testamentaire et le fil diachronique qui, des calendriers issus de la tradition moyen-orientale relie l’Eglise dans sa totalité qui inclut toutes les Eglises issues du Deir Roum et de la pentarchie initiale.
Ia question de la date de la Pâque revient comme une vague qui se meurt sur la changement et le désir d’adopter une date pascale unique, du moins en Occident et chez les orthodoxes. Il y a sans doute une sorte de compétition prequ’ecclésiologique entre les patriarcats. Le renouveau des Eglises liées au patriarcat puissant de Moscou tendrait à inciter des innovations prudentes, voire hésitantes et contradictoires. Le Séminaire orthodoxe russe Sainte Geneviève d’Epinay-sous-Sénart est en calendrier grégorien, même des traditions grecques à des initiatives liturgiques plutôt latinisantes.
En fait, ce n’est pas l’émission en soi qui est intéressante. Si, sûrement. Mais elle a la volatilité comme le sont les produits audio-visuels. En revanche, pour ceux qui approchent l’orthodoxie en Europe, prétendument en “Occident”, on voit les questions coriaces de désunions, de dissensions anciennes et persistantes. Il serait faux de penser qu’elles s’estompent. Le temps n’est pas le même dans la crypte de la Rue Daru qui prie en français que dans la cathédrale où l’on prie en slavon. La même dissonance, cette fois-ci temporelle, existe entre le calendrier grégorien en bas et le calendrier julien en haut. C’est la même chose entre Jérusalem et la Jordanie. Jérusalem est julienne, la Jordanie passe volontiers, selon l’humeur, sur le temps grégorien. Pourtant, il y a des différences apparemment impalpables, invisibles pour l’âme qui marche sur le calendrier julien. Il est question de la notion du temps. De sa dimension. St Jean de Shanghaï et de San Francisco avait deux montres à ses poignets : l’une marquant l’heure de San Francisco et l’autre celle de Paris. J’ai deux montres, toujours : l’une est l’heure de Jérusalem, l’autre celle du lieu où je suis ET chaque montre marque les deux calendriers julien pour l’heure de Jérusalem et grégorien pour celle du lieu où je me trouve. De même, vous pouvez lire ici, en haut à la fin de chaque journée, les dates des traditions juives, orthodoxes byzantines cal. julien et latine cal. grégorie net internationale, musulmane et assyrienne.
Essayez. C’est très difficile en fait, mais si l’on adhère vraiment à une communauté de foi et de culture qui utilise un calendrier particulier, la notion de temps, de jour, de mois, d’heure change véritablement. Ce n’est pas un facteur purement politique, culturel, social, économique, historique. On entre dans une évaluation qui inclue aussi la dimension méta-historique. C’est la raison pour laquelle, j’ai commencé mon texte sur cette émission par un citation sur la fête de Chavuout, la fête des Semaines ou Pentecôte. Car le comput a forgé des âmes. On ne délie pas les âmes en ne réfléchissant pas sur le sens historique et eschatologique des heures de notre vie, plus encore sous le regard du Créateur.
L’émission télévisée et les “circulaires” des orthodoxes – principalement en France, expriment des tréssautements parfois versatiles où les relations sont changeantes en discutant de questions d’éternité. Il faut parfois cesser d’être dans la Lune…