Yalta +65: les argonautes mènent la danse

Yalta +65: les argonautes mènent la danse

 

Yalta +65: les argonautes mènent la  danse

par av Aleksandr, prêtre orthodoxe (Israël)

 

 

La Conférence de Yalta eut lieu, voici 65 ans, du 4 au 11 février 1945. Sous le nom de code de “the Argonaute Conference”, les nations belligérantes furent représentées dans cette ville  par Staline, Roosevelt et Churchill. La question était simple et, au  fond récurrente : que faire de la Pologne?!

Staline adopta un comportement qui doit nous interpeller aujourd’hui. Il obligea les “anglo-saxons” à se déplacer en Crimée. Il s’engagea sans participation à soutenir les Etats-Unis dans la guerre sur le front japonais. En l’absence de toute représentation légale, Staline réclama l’indépendance de la Mongolie, l’assurance du maintien des intérêts soviétiques dans le rail mandchou et une main-mise sur Port-Arthur (aujourd’hui Lüshunkou en Chine).Nous croyons que l’Union soviétique s’est effondrée. C’est un voeu pieux ou bien plus athée qu’il n’y paraît. Une sorte de trompe-l’oeil qui illusionne avec ténacité les Occidentaux et autres Européens en constitution. L’Union soviétique est un mammouth euro-asiate dont l’histoire s’inscrit dans l’énorme mutation sociale, économique et humaine de l’empire russe tzariste. Celui-ci n’a jamais disparu. Il s’est exilé, à l’interieur et “en Europe = à l’Ouest de Pologne latine”. Il s’est enlisé. Il a fait le sous-marin pendant plus de 70 ans – et il continue de le faire sous des formes diverses – sans décrocher la mémoire centrale d’un pays en extension territoriale constante au cours des siècles.La Russie d’aujourd’hui est l’héritière fûtée de cette ” conférence des Argonautes”. L’argonaute est un petit animal marin engoncé dans une coquille. Il se défend en éjectant de l’encre. Il est comme ce Nautilus de Jules Verne. C’est au fond comme si les Ecossais voyaient soudainement surgir le monstre du Loch Ness “on air” à la Communauté Européenne.Revenons à nos argonautes! 65 ans après Yalta de Crimée, l’intelligentsia de formation soviétique s’est internationalisée aux dimensions de la planète. Le personnel politique, administratif, scientifique, industriel s’est muté en de redoutables hommes-femmes d’affaires. Le business est partout. Nous le voyons de manière sasissante en Israël. Cela crée très souvent des hiatus avec une population très contrastée. La confrontation entre la liberté contingente israélienne et la disciple combinant mensonge et vérité soviétiques rend curieusement possible un dynamisme tourné vers l’avenir.L’Occident reste profondément prisonnier d’une sorte de silence impuissant. En Crimée, on parla anglais avec un géorgien. Le combat qui se profilait était en fait de nature spirituelle. C’est, disons, le filon que nous tenterons d’esquisser en ce soixante-cinquième anniversaire de Yalta.Repartons de Jérusalem. 1964. Le Patriarche Benediktos acccueille sur le mont des Oliviers le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras. Un an plus tard, le Concile de Vatican II s’achève par “Lumen Gentium” (Lumière des Nations) et une déclaration sur l’Eglise acceptable par le primat de l’Eglise orthodoxe grecque de Constantinople. Le monde orthodoxe est alors majoritairement régi par des régimes communistes, mais aussi celui des Colonel grecs.L’Eglise romaine est alors revenue à considérer de manière positive l’héritage “vénérable des Eglises orientales” (Benoît XIV). La Communion sous les deux Espèces, l’invocation à l’Esprit Saint préalable à la consécration du Corps et du Sang du Christ furent accompagnées par la prise de conscience de l’héritage des Pères de l’Eglise, la liturgie ancrée au plus ancien de la tradition, le sens du sacré, la redécouverte des Eglises locales. Tout cela fut suggéré par des théologiens d’Europe orientale, majoritairement orthodoxes qui exigeaient une remise à niveau des pratiques “latines” avant d’envisager un dialogue plus substantiel.Mais il aurait fallu analyser de manière pertinente ce qui s’était produit dans la foulée de la guerre qui a laissé les hiérarchies catholiques “tétanisées”. L’Eglise romaine se persuada, lors de la chute du régime tzariste et l’assassinat de la famille de Nicolas II (aujourd’hui canonisée) que la dynastie des Romanov n’avait su être fidèle à la foi “orthodoxe” souvent en brèche avec les patriarcat traditionnels. Par ailleurs, en 1938, Pie XII rédigea le texte de l’encyclique du Pape Pie XI, “Mit Brennender Sorge” qui dénonçait la percécution de ceux qui ont une identité particulière (les Juifs) pour le simple fait d’être ceux qu’ils sont. Mais le texte s’empressait de souligner que “les chrétiens sont spirituellement des Sémites” – ce qui demeure, en la circonstance, une extraordinaire manière de substitution!, même si l’affirmation est compréhensible.L’Eglise catholique et les sectes ou congrégations protestantes ont assuré une assistance permanente aux Eglises de la Rus’ de Kiev et de Moscou, aux pires heures du communisme. Elles ont assuré en sous-marin la catéchisation et la formation aux Sacrements. L’Eglise romaine a ainsi considéré qu’il lui appartenait de ramener dans le sein romain des populations orthodoxes prétendument égarées. Rien de neuf. Les Croisades furent de la même veine.

Il y a une sorte de dichotomie mentale constante en Occident entre le désir indubitablement sincère d’unification et l’incapacité à aborder de manière positive le monde orthodoxe et oriental.L’Eglise russe du Patriarcat de Moscou reprend son souffle et découvre son universalité après une grande période d’isolement. Le retour à la foi, à ces livres reprintés datant du 19ème siècle et aujourd’hui un peu dépassés, crée une structure orthodoxe qui cherche sa cohérence avec grandeur et beaucoup d’humilité imposée par les circonstances. L’Eglise de Moscou fut historiquement humiliée par des tzars occidentalisés ou par des potentats sanguinaires et pécheurs en repentir permanent.Il y eut un combat durable entre la hiérarchie , le soupçon porté envers l’occident qui avait souvent lâché le monde slave et orthodoxe, justement en zones polono-lithuaniennes.Les Eglises n’ont pas eu le temps de faire leur Yalta. Et pourtant à lire l’aventure spirituelle de notre génération, elles sont directement en phase avec les décisions de la Conférence des Argonautes. Cela expliquerait en partie l’incapacité réelle à définir le statut “(judéo-)chrétien des origines de l’Europe”. Si les Romanov ne sont pas remontés, pour l’instant, sur le trône impérial de Russie, le martyrologe chrétien post-communiste est impressionant, jusqu’à presque jalousement confondre Rome et les autre confessions.L’Eglise russe a réussi la prouesse de sortir de l’athéisme officiel sans schisme. Mieux encore: elle réussit le prodige de réunir “blancs et rouges”. L’Eglise hors-frontières russe reconnait désormais le primat de Moscou. C’est parfois formel, certains grincent des dents; des ruptures nouvelles apparaissent, précisément entre les mondes russes et anglo-saxons… Mais partout, l’Eglise orthodoxe russe avance avec la conviction que sa renaissance lui confère une mission mondiale. Elle se développe en Thailande, en Mongolie, mais aussi en Europe occidentale. Le Métropolite Jonah, chef de l’Eglise Orthodoxe d’Amérique et du Canada (OCA) fut formé à Moscou et dans la belle tradition d’ouverture de Valaam (Carélie “russo-finlandaise”).A Jérusalem, la mission ecclésiastique du Patriarcat de Moscou effrayait autrefois les rescapés du KGB qui avaient trouvé asile en Israël en qualité de “suppôts de Satan”. Aujourd’hui, le portrait grandeur nature de Nicolas II trône dans le salon d’accueil et donne le ton d’une histoire en marche. Le bar night-club de la rue d’en face s’appelle le “Poutine”…Israël saura curieusement tenir en respect les fils d’une Sainte Russie qui revient sans tenir compte de l’effroyable hémorragie de sève judaïque qui transforme Moscou, Tbilissi ou Chisinau/Kichinev en une Espagne d’expulsion 1492. Au fond, les moniales orientales aident subrepticement les envoyés du Chabad-Loubavitch à retisser la mémoire juive en Ukraine, Belarus et ailleurs. Ils sont convaincus que les pogroms ont provoqué le passage forcé des populations locales à un christianisme “converso à la mode de Minsk” et qu’ils apporteront enfin le salut dans la région. Un peu plus loin, les catholiques infusent le Carmel et tous les ordres. C’est en ligne avec la tactique des Argonautes de 1945…L’Eglise russe apprend aussi comment gérer sa nouvelle jeunesse. Elle tangue entre un rigorisme pénitentiel et le besoin sensible d’atteindre peut-être une liberté qui ne soit pas trop servile. Elle est capable des plus grandes souplesses – ce que précisément l’Occident chrétien saisit difficilement. Il y a un souffle digne des champs à perte de vue ou des forêts profondes où l’être comprend à l’intime que seul le Créateur peut lui faire le don de la vie.Il est aussi possible d’esquisser un autre parallèle. Les 19-20ème siècles ont été marqués par l’émergence d’un mouvement social messianique et égalitaire qui triompha en Marx-Engels/Lénine-Trotsky et Staline en solo dans l’esprit social-communiste international. Yalta marqua, à cet égard, une pierre d’achoppement pour l’équilibre du monde.Ceci vaut aussi pour la marche inéluctable des fidèles de la Sainte Russie du Christ qui avancent avec la même détermination qui présida à Yalta, les Argonautes. Ce renouveau ne fait que commencer. Les foules de touristes/pèlerins que nous voyons à Jérusalem ne sont qu’un pâle prélude aux masses qui viendront aux Lieux Saints dans les années à venir.Il faut se méfier: les enjeux ne sont pas dans les territoires, les possessions, les prétentions financières ou autres. L’Occident chrétien s’est trop souvent empêtré dans des “Plans Marshall”, y compris confessionnels.Yalta fut une leçon mal comprise: l’Orient a le bénéfice de l’immensité du temps et de l’espace.11 février/29 janvier 2010 – 27 shvat 5770 – 27 safar 1431

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