Chronique d’abonnés
Visas pour la vie
par av Aleksandr, prêtre orthodoxe (Israël)
10.11.09
Il fait trop chaud-trop froid ces jours-ci à Jérusalem. Du coup, cet hiver les femmes reprennent ce look si en vogue de “Diane chasseresse” en jeans ultra-serrés surmontés de bottes qui tournent à la cuissardise . Les pulls collent au corps, soulignant innocemment et de trop près une ligne marquée à l’excès de formes féminines depuis la poitrine au haut des jambes. Mais vous n’avez rien vu – ni moi – ni même votre énorme zoom-caméra en bandoulière de pèlerin-touriste. Ici, nos Diane ne chassent personne sinon elles-mêmes: et encore, la règle serait “cachons ces mamelles que je veux tant que vous regardiez sans les voir”. Ici, les hommes excellent dans les cheveux longs sans idées courtes. C’est la définition même du malaise de l’identité en quête de sens.
Voici 30 ans, invité chez des amis à Jérusalem, je demande où se trouve leur domicile. Les “autochtones” agissent dans un esprit de grande sociabilité. Cela va durer 30 minutes: on décrit les hôtes physiquement, leurs, noms, prénoms, enfants, professions… Rien! Ils sont hollandais, bon et alors! Soudain, quelqu’un dit: “Quelle est leur religion?” – “Ils sont protestants réformés”! Lumineux! Deuxième bâtiment au fond et 4ème étage à gauche!Ici, on ne regarde pas les mamelles, mais quelle âme va nourrir ce lait maternel. L’identité est viscéralement confessionnelle.Alors, chez vous (et ailleurs et comme tous les chrétiens…), l’Eglise catholique est en quête d’identité. Elle se désaltère aux sources de Lourdes! Ici, les Eglises sont aussi en recherche; toutes veulent des visas. Mieux, elles exigent des visas de la part d’Etat d’Israël.A première vue, c’est la première fois, au plan historique, que les représentants du Christ sont amenés à faire une telle requête auprès d’un Etat d’Israël, alias “Etat hébreu” et qui depuis l’origine se définit sans arriver à se l’imposer comme “l’Etat des Juifs”.Le Mur de Berlin est tombé, Hitler et sa clique sont morts (enfin plus ou moins) – le communisme est détruit (là, il faut un peu de jugeotte et de bon sens). Nous avons pu nous libérer de ceux qui nous ont laissés en vie.Après un débat très âpre et violent en Israël, l’Allemagne a permis le développement d’Israël par le biais de réparations financières colossales. La chute des Soviets suprêmes ont permis au pays de voir arriver une faune bigarrée, en consonance avec les “Israéliens”. Soyons francs, les Américains qui arrivent avaient précedemment fui ces même régions d’Europe ou de l’Empire russe. Terres d’Europe et ottomanes sont précisément les deux poumons d’Israël.C’est le seul pays où l’on reçoit l’assurance de sa citoyenneté, de ses droits sociaux ou électoraux avant même de savoir qui est exactement Eliezer Ben Yehudah, le rénovateur de la langue hébraïque. En principe, il faut être de mère juive. C’est une identité “in utero”.Ca interroge au niveau de l’être. Il y a des juifs qui demandent à “être déjudaïser”. Comme en miroir, certains chrétiens qui se précipitent pour baptiser un enfant, regrettant parfois jusqu’à l’absurde que le “prêtre n’ait pu baptiser l’enfant dès le ventre de la maman”.
L’identité confessionnelle tourne souvent à la paranoia de ne pouvoir devenir l’autre que l’on ne sera jamais.Les Eglises sont toutes soeurs, mais qui est la Mère? A l’origine, c’est une question de foi. Aujourd’hui, il y a compétition entre les différentes Mères possibles. Oserait-on parler d’Eglises de substitution? Curieusement, dans une situation au fond assez similaire, , il revient aux descendants de Salomon (l’Etat hébreu) de dire qui est la maman véritable… En clair, cela se traduit par l’octroi ou le refus de visas de séjour, voire de permis de résidence. Cela peut ne pas induire en contemplation mystique. Deux mères demandèrent le jugement du roi. Toutes deux prétendaient avoir mis l’enfant au monde (1 Rois 3:25); aujourd’hui, on se déchirerait plutôt pour des lopins de terre, des dunams. Pour le coup, ils ont souvent changé de propriétaires ou de locataires.Aux pires heures de la guerre d’Indépendance en 1948, le parlement israélien siégeant à Tel Aviv, a tenu à assurer les communautés les plus diverses qu’elles jouissaient de leurs pleins droits. Aujourd’hui, au bout de 60 ans de guerre permanente, l’Etat hébreu demande des comptes à ses habitants. Est-ce alors une question de chacun pour soi tout en donnant dans le “tous pour l’Un”.Peut-on passer toute sa vie ou de longues années dans un pays dont l’on ne reconnaît pas ou à peine l’identité fondamentale sans en demander la citoyenneté? C’est un problème de loyauté, très sensible dans tout le Proche-Orient, sans que la question soit limitée à une dimension politicarde. Un visa est une “charta visa”: un document qui confirme, après examen, que la personne est digne de participer, ne fût-ce que par sa présence, au bien d’un pays.Au fond, nous avons du mal à sortir des entrailles du 11 novembre 1918. Nous continuons de transiter par de vraies “douleurs de l’enfantement” (Galates 4,19)