Ils seront mes amis
par av Aleksandr, prêtre orthodoxe (Israël)
11.05.09
Depuis plusieurs jours, les communautés juives s’apprêtent à descendre en Galilée, à Méron pour vénérer la tombe d’un grand saint, R. Shimon Bar Yochai, le disciple de Rabbi Akiva, qui, la veille de sa mort, a eu la révélation du Zohar, le Livre des Splendeur, écrit en araméen. C’est un livre “crypté” chargé de transmettre la Torat HaNistar (Loi cachée) souvent appelée Kabbale. Ce mouvement hautement charismatique a souvent été perçu comme un mouvement ultra-mystique ou ésotérique. C’est ainsi la fête joyeuse du LaG Ba’Omer = 33ème jour du compte qui commence au lendemain de Pessah (Pâque) et se termine avec les trois jours qui conduisent à Shavu’ot (Fête des Semaines ou Don de la Torah au Sinai à Moïse ou Pentecôte = 50 jours; 49 en hébreu, 50 en grec).
Depuis 33 jours, le judaïsme vivait une sorte de deuil “paisible” des deux Maîtres. La fête du Lag BaOmer est récente. Elle s’enracine dans un judaisme plutôt oriental mais qui a profondément influencé les communautés de l’Est-européen et le hassidisme qui ont adopté la tradition de Safed. L’histoire est simple: Rabbi Akiva, l’un des plus illustres rabbins a suivi, en 130-135 de notre ère le faux messie Bar Kochba/Kosiba. Il le regretta amèrement comme le montre son martyre qui est resté un modèle pour la prononciation de la phrase “Sh’ma Israel, Ecoute Israël” (Deut. 6,4), accentuant l’unicité de Dieu. Or, R. Akiva avait voulu codifié le texte de la Torah et avait demandé à “ses 12 000 pairs de disciples” de travailler deux par deux dans ce but.Il en vinrent à une intense compétition et furent punis, selon la tradition, dans ces jours-ci. R. Akiva perdit ses 24 000 disciples. Ce jour de deuil appelle au respect le plus fondamental de toute personne humaine, de toute âme et un jour de réjouissance car par-delà leur morts les deux grands rabbins ont transmit les flammes jaillissante de la Révélation. En effet, “qui est respecté ? Celui qui respecte les autres” (Avot 11a). Or, R. Akiva souligna que toute dispute égoïste nie le respect de soi-même et d’autrui pour réduire l’autre à des volontés de pouvoir et de captation. Le jour de deuil le plus tragique peut ainsi irradier la joie prophétique du rétablissement. Celui-ci ne peut que nous prendre par surprise et au-delà de nos capacités réelles à entrevoir l’histoire qui se révèle par mutations.Qui pouvait imaginer la venue, dans un Etat d’Israël libre et indépendant, d’un pape au profil de Benoît XVI ? Son pèlerinage constitue la preuve d’un extraordinaire bouleversement de l’histoire. A 14 ans, il est enrôlé dans les rouages de la jeunesse hitlérienne. Au même âge, et pratiquement dans le même temps, Jean-Marie Lustiger se convertissait au christianisme, ignorant pratiquement tout de la réalité vivante du judaïsme pratiquant. Il n’y retournera jamais mais consacra sa vie de cardinal français à frayer des voies inédites de dialogue. Cette tâche dépassera de très loin sa propre personne comme tous ceux qui furent convertis dans cette période si contestable. Elle continue d’interroger la société israélienne. H. Bergson refusa le baptême. Jean-Marie Lustiger poursuivit la Voie de Jésus de Nazareth, trouvant réponse au Saint Sépulcre. Joseph Ratzinger avait, dès cette époque nazie de ténèbres, dédié sa vie à Dieu. Même âge, même contexte et génération. Le cardinal J. Ratzinger a longtemps acompagné l’ancien évêque d’Auschwitz devenu le pape Jean-Paul II, venu en dernier adieu en pèlerinage à Jérusalem voici 9 ans.Ce qui est vrai ici, ne l’est pas chez vous, ailleurs, et réciproquement. Tout d’abord, il n’appartient pas, selon la tradition juive, à la génération qui a survécu une telle Catastrophe comparable aux destructions des deux Temples, de comprendre le sens d’un génocide de cette ampleur. En répétant aujourd’hui le mot “silence” de manière appuyée, Benoît XVI rejoint ce respect des autres et va bien au-delà de ce que quiconque aurait jamais cru voir “de notre vivant et de nos jours” (Kaddish). C’est un grand signe de “résurrection” qui va le mener bientôt au Mur occidental au Saint Sépulcre.La visite du pape ne peut se résoudre en un jeu de chancelleries, fût-il ecclésiastique ou le signe de visées diplomatiques ou politiques. L’Europe s’estompe, en ce fragile Etat hébreu et dans un environnement arabe mal assuré. L’empire romain apprend le prix de sa fragilité et du retour humain, théologique, spirituel, linguistique d’une communauté juive de “qui est né (Jésus) selon la Loi”(Galates 4,4). Israël montre, parfois de manière malhabile – comme toute personne peut l’être – qu’il existe. Que cette existence oblige chacun à revoir des positions profondément ancrées. Il faut du temps, beaucoup de temps.Le Rav Lau avait vertement tancé le cardinal Lustiger. Ces jours-ci il eut des paroles dures envers le Pape, mais il invita à l’accueillir avec respect. Voilà ce que peut faire la société dans un Etat des Juifs toujours contesté. Il est appelé, comme chacun de nous, à agir avec respect et être respecté.