Ridna khata – La Maison natale/nationale (2)

 Dans quelques jours, le president de la Republique d’Ukraine, Viktor Yushchenko, viendra en visite en Israel. Par divers blogs et activites, je passe mon temps a souligner les rapports excellents qui se sont developpes entre les citoyens ukrainiens juifs et non-juifs qui se sont installes en Israel et la societe israelienne. Cette reussite tient un peu du miracle dans la mesure ou on peut legitimement s’interroger sur les raisons qui ont conduits souvent juifs et ukrainiens a privilegier la haine au detriment de l’amour du prochain professee par juifs et chretiens.

La societe ukrainienne, en Israel, est defavorisee par son caractere inorganise et son incapacite a pouvoir se structurer. Mais on peut vraiment parler d’une presence massive ukrainienne dans le pays, presence massive, mal reperee car les Israeliens, juifs comme le monde chretiens les englobe dans un flou “russe”. Or les ukrainiens sont venus d’Ukraine occidentale, de Belarus, de toute l’Ukraine et la Crimee, mais aussi des republiques d’Asie centrale comme le Kazakhstan ou l’Uzbekistan, de la Siberie orientale (Magadan) ou ils avaient ete deportes et, et de ce fait sauve des Nazis par Staline.

J’ai maintes fois eu l’occasion de dire que je celebre en ukrainien – sans aucune gloriole cela m’a toujours etonne car c’est une langue vivante tres concrete, connue et comprehensible de toutes sortes de sovietiques. Il paraitrait que je suis encore le seul pretre a le faire en Israel, sans doute parce que les autres pretres sont trop attaches au slavon. Mais il y a un lien unique et particulier, singulier, fait de ghettoisation et de shtetlech – de contacts et de tres grand respect – une grande interference spirituelle entre le monde de la tradition byzantine et le judaisme qui a trouve en Israel une voie originale comme “germes de futur” comme aurant dit le Rebbe de Breslov.

Un nombre important de citoyens israeliens ont conserve des liens familiaux avec l’Ukraine, la langue, la culture. Un grand nombre d’ukrainiens dans le pays ont aussi connu le temps de la grande famine “Holodomor – голодомор” (cf. mon blog”) qui provoqua la mort d’un tres grand nombre d’ukrainiens et d’autres habitants dans les annees 1930. Ce fut une manoeuvre concue par le Politburo sovietique et qui conduisit de fait au premier “massacre de masse par le moyen de la famine”.

Sur le plan religieux, l’Universite de theologie de Kiyv (surtout soutenue par l’Eglise grecque-catholique ukrainienne en collboration effective avec toutes les confessions presentes sur le territoire ukrainien) accomplit un rare travail de dialogue et d’information sur ce qui se passe dans le domaine de foi. La situation multi-confessionnelle apparait generalement comme “balagan – un desordre”, en particulier a cause des divers eclatements des Eglise orthodoxes ukrainiennes, des nombreux patriarches – encore que la division entre les differentes tendances catholiques et protestantes ne soient que le reflet d’une identite extremement difficile a determiner.

Le Metropolite Andre Sheptytsky, qui fut a la tete de l’Eglise greco-catholique de L’viv et mourut le 1er novembre 1944 (mercredi 1.11/19.10/1944 – 16 decheshvan 5705). Homme totalement hors normes comme l’ont souligne de nombreuses personnes (dont le Prof. Gutman, ancien responsable a Yad VaShem), il dirigea, pendant toute la deuxieme guerre mondiale, un synode permanent des pretres ukrainiens. En 1942 (ecrit le 8.12.1941, publie 10 ans plus tard dans “Lohos” – Yorkton, Canada) il ecrivit un decret “Yak budovati Ridnu Khatu? – як будовати Рiдну Хату – Comment edifier la Maison nationale?”

Le metropolite Sheptytsky aimait son peuple qu’il avait rejoint en quittant la coherence polonaise de sa famille pour retrouver ses racines ancestrales. Mais cet amour etait universel, bien au-dela de la realite ukrainienne en tant que nation. Il fut le seul prelat a adresser un telex a Himmler pour protester contre la deportation et l’extermination des Juifs. Il faut remarquer que, trois fois, la censure allemande confisqua le texte et empecha sa distribution. En fait, par trois fois, il fut possible de republier en partie ce document. “Pour atteindre notre ideal national, nous avons besoin d’unite (…). Il nous faut, autant que possible mettre fin a nos luttes et ecarter tout ce qui nous separer, tendre de toutes nos forces vers le maximum d’unite realisable. Entre les luttes qui divisent les ukrainiens nos dissentiments religieux n’occupent pas la derniere place. A coup sur, l’unite religieuse serait un puissant stimulant pour atteindre l’unite nationale” (Lettre aux eveques ukrainiens 30.12.41).

Le Metropolite Andre a ete au bout de ce qui est humainement possible, denonce par beaucoup, utilise par falsifications de ses idees pour que, dans des moments dramatique, l’Ukraine ne perde pas son ame et soit sauvee. On peut faire ici une comparaison avec l’intercession proposee par Rebbe Nuchmen de Breslov.

66 ans apres sa mort, alors que Staline crut plus sage d’attendre la fin des 40 jours de deuil et la celebration de l’office de pannychyde (memorial) pour proceder a la deportation du clerge grec-catholique, l’unite semblerait un mirage dans une Ukraine chaotique. Les Juifs y sont a nouveau present par des biais qui sont des germes de vie pour l’ensemble de la societe. De meme que les differentes denominations chretiennes et musulmanes. C’est encourageant en ce sens que le metropolite entrevoyait une unite non fictive, mais enracinee dans la foi, donc dans le pardon.

Il y a des points delicats entre Israel et l’Ukraine. Ils sont particulierement delicats. Mais comme le notaient dernierement certains parlementaires israeliens, Israel et l’Ukraine deploient des points de connexion et d’entente tout-a-fait positifs pour les deux pays. Si l’on met de cote le Canada, on pourrait paraphraser l’affirmation de Vladimir Poutine qu’ “Israel est le deuxieme pays ukrainien au monde”. Le plus curieux c’est que cela est vrai et peu sensible.

Les deux pays sont anciens. Les Juifs habitaient chez les Scythes et en Crimee depuis la haute Antiquite. Les deux pays, sous des formes diverses sont rescapes de la Shoah, de situations oppressives et negationnistes.

Le president Yushenko desire que le Holodomor – голодомор (cf. blog) soit reconnu comme un genocide alors que l’on parlerait plutot de “meurtre en masse”. Israel doit – en tant qu’Etat des Juifs – affirmer la realite historique et le respect du judaisme. Il n’est pas de doute qu’il a reconnu la validite de l’Ukraine a plusieurs niveaux. Tout d’abord comme territoire historique du judaisme, de la Yiddishkayt. Par ailleurs, il se doit de rappeler le devoir du gouvernement et de la population ukrainienne a combattre toute forme d’antijudaisme et d’antisemitisme. Il n’en reste pas moins que c’est une histoire interne a la vie commune et aux drames entre juifs et ukrainiens et bien au-dela de multiples facteurs regionaux.

Yad VaShem, a ce jour, a reconnu un nombre tres important, impressionnant meme de “Justes parmi les Nations” ukrainiens qui ont sauve des Juifs dans des conditions inimaginables en contexte occidental. Il reste un chiffre encore indecis, variant de un a un million et demi de juifs qui ont peri en Ukraine, en particulier en Ukraine occidentale et qui reste un questionnement. Yad VaShem comme tout les organismes juifs sont en droit de non seulement s’interroger mais de mener les recherches qui doivent permettre a la clarification d’une situation trouble, peu connue, difficile a preciser.

Un colloque a reuni, au debut du mois d’octobre, un nombre restreint de specialistes qui etudient la question de la disparition de ce million et demi de Juifs en Ukraine de 1941 a 1944. Le chiffre ne “choque” aucun de mes paroissiens et nous avons discute de cette problematique apresavoir celebre l’office pour les victimes du Holodomor. Il appartient malheureusement au caractere “invertebre” du judaisme actuel en Ukraine et d’un voile de memoire pour une nation qui a vu disparaitre toutes ses forces juives les plus vives de devoir porter la charge de cette recherche a travers les lieux d’extermination.

Le colloque a ainsi reuni a l’Universite de Paris-Sorbonne des personnes qui menent cette enquete apparemment morbide. Le chapitre 37 du Livre du Prophete Ezekiel laisse entrevoir la levee et la resurrection de foules immenses. Le veritable probleme est que l’Ukraine a ete saignee de ses Juifs, une veritable hemorrhagie. J’avais encore eu l’occasion de dire a Leo Achkenazi (Manitou) qui parlait, a la fin de la Shoah, d’une hemorrhagie juive hors d’Europe, que celle-ci etait alors partielle (1980) car allait arriver la vague sovietique lorsque le systeme communiste s’effondrerait. C’est un fait aujourd’hui avec la disparition des vieilles juiveries, du judeo-tatare, des Karaites (Koraim) en Crimee. Encore que! L’avenir peut etre autre.

Paul Shapiro, du Centre d’Etudes Avancees sur l’Holocauste (USA) a souligne, avec perspecacite, “qu’il ne faut pas faire memoire de la mort des Juifs, mais aussi de la vie des Juifs en Ukraine”. Une exposition, realisee principalement par le P. Patrick Desbois (France), au Centre du Memorial de la Shoah a Paris, avec l’aide de ce Centre et l’Association “Yahad-Unum”, presente depuis plusieurs mois et jusqu’a demain, le sens de ses recherches. C’est lui qui a, avec l’Eglise catholique de France et des Organisations juives, suscite ce colloque a la Sorbonne. Il faut avouer que son approche est relativement “morbide”. Il serait difficile qu’il en soit autrement. C’est plutot le modus operandi qui pose une question interessante sur la maniere de portee son regard sur des situations aussi tragiques.

Omer Bartov (Brown University) a lui-meme presente des documents. Il insiste sur un autre point. Il est temps, comme en Pologne (Cracovie, par exemple), ou les cultures juives et polonaises sont a meme de raviver des liens qui furent passionnels et tresses de haine et d’attirance, de proceder a la meme demarche au sein de la communaute ukrainienne. Les mouvements hassidiques sont relativement actifs a ce niveau et pour leurs propre recherches.

Les representants ukrainiens du Centre ukrainien d’Etudes sur l’Holocauste ont faut le constat d’une sorte de disparite et “qu’il avaient ete invites sans participer a l’organisation”. Le P. Desbois a souligne que “deux mondes totalement differents se rencontraient”.

Le P. Patrick Desbois est le Secretaire du Comite Episcopal pour les Relations avec le Judaisme. Il est aussi expert a Rome. Depuis une dizaine d’annees, il a effectue de maniere acharnee et pasionnee (“vehemente” note un journaliste) des recherches sur l’extermination des Juifs en Ukraine pendant la deuxieme guerre mondiale. Son grand-pere avait ete interne en Ukraine, sa famille – a la frontiere de la ligne de demarcation – a aide les Juifs. Il n’est pas juif, a servi comme pretre a Calcutta et voulait avoir un ministere aupres des Tziganes ou des Juifs.

Appele a la pretrise par le Cardinal Decourtray de Lyon, il cree avec le soutien du Cardinal Jean-Marie Lustiger et diverses personnalites juives “Yachad-Unum” pour mener a bien ses recherches.

En soi, le P. Lebbe etait devenu un vrai pretre “chinois”. On peut s’interroger sur l’emploi du temps du P. Patrick Desbois car sa responsabilite pres de la Conference des Eveques de France est deja une chose lourde. Par ailleurs, il est souvent a Rome. Et il organise des voyages “new waves” en Israel, ce qui, en soi est toujours un plus en matiere de creativite. Il a des contacts avec certains milieux “orthodoxes juifs”.

Il est anime par une reelle passion a creuser la terre d’Ukraine. La question qui se pose est qu’a ce jour, sauf erreur ou omission, – et la chose a ete tres clairement exprimee pendant les deux jours de colloque a la Sorbonne – touche a la maniere dont il mene une quete profonde, riche, fascinante a bien des niveaux. Car son action peut soit rebuter soit vraiment le “canoniser”. La question est peut sans doute prematuree, mais ce genre d’actions invitent rarement a des suggestions positives. A cause de leur caractere tres “radical, tranche”.

Il serait opportun de trouver dans une Newsletter (elle sera surement mise a jour prochainement) les documents du gouvernement, des ministeres, des autorites regionales et locales de la Republique d’Ukraine qui, pour le moins, viendraient en soutien de son action de maniere officielle.
Ce pays a une existence legale, des droits, des devoirs et il serait profitable a tous de voir que les actions ne sont liees a quelques passionnes. La question a ete aussi abordee dans ce colloque. Pour quelle raison, les uns ou les autres s’investissent et dans quel but? La Shoah est un sujet gravissimme pour lequel le judaisme dispose d’elements specifiques a differents niveaux.

Il y aurait la question de la publication et diffusion des tres nombreux elements de recherches qui ont ete ainsi collectes. L’exposition comme les articles de presse sont trop “calques” sur le nouveau Centre d’Etudes “Machon Yad VaShem”. Il s’agit avant tout de la memoire ukrainienne et juive et non d’une mission aupres de tribus perdues. L’Ukraine comme Israel a ses cultures et approches de la memoire.

En revanche, le christianisme apporte une note particuliere dans ce contexte puisque le P. Desbois est pretre francais, en France. Quelle serait la reaction de la hierarchie catholique, mais aussi protestante et ou orthodoxe si un groupe religieux venait – sans autorisations officielles connues ou publiees – creuser pour verifier ce qui se s’est vraiment passe dans les differents camps d’internement francais pendant la deuxieme guerre mondiale?

Il y a enfin un dernier point, le plus important a mes yeux, surtout ce soir, alors qu’en Israel les fideles du Rebbe Breslover prient, que nous approchons de la date-anniversaire du deces du Saint metropolite Andre Sheptytsky. Il faut dire que, pour les Juifs, un Sacrement chretien correspond a quelque chose de sacre, mais sans que la chose ne soit plus claire.

Je me suis entretenu de la question suivante pendant un an avec des representants de la hierarchie greco-catholique et orthodoxe ukrainienne et crois utile au moins de la verbaliser dns ce blog. Cela me rappelle Mgr Georges Rochcau, visitant les wagons des rescapes de l’armee Vlassov (pro-nazie) renvoyes en URSS, sans doute pour y etre executes. Il passait dans les compartiments en confessant et absolvant ces pauvres heres. Ici, en Israel, nous avons de tout comme chretiens (faux, vrais, vrais-faux juifs, chretiens toutes obediences, vendus, ayant tue, denonce, nommes “justes” puis “degrades”).

Dans une affaire aussi serieuse que la recherche de restes humains, un pretre catholique romain latin et etranger au pays et aux langues locales directes ne peut confesser ou considerer comme un geste assimilable a la confession, les recits enregistres apres 60 annees d’une histoire aussi tourmentee dans une region aussi blessee. C’est la qualite du pretre qui fait la difference. Surement pas en faisant appel a l’opposition (negative) avec un clerge oriental catholique ou orthodoxe, voire des juifs. En tournant “Shoah” en Pologne, Claude Lanzmann agissait simplement en tant que juif.

Et encore moins surement l’utilisation presumee (suggeree par les medias et les propos qu’ils rapportent du P. Desbois) du Sacrement de Confession obligatoirement lie, scelle par silence .

Quand bien meme il y aurait abus de langage a propos de confession ou “meprise”, ce Sacrement touche au trefond de l’ame et toute action de mise a jour a d’abord, comme but principal, ce sauvetage de la Gehinnom (R. Nachman) pour aller de l’avant.

Le president Viktor Yushchenko a pris un decret, voici deux jours pour que 700 rouleaux de la Torah confisques pendant la periode communiste soient rendus a la communaute juive ukrainienne. Le geste est diplomatique a la veille de son voyage en Israel et alors que les rabbins ont systematiquement boycotte la reunion que le president ukrainien avait organise avec l’intelligentzia juive. Mais il pose un “acte de vie”. Il exprime aussi le souci de l’Ukraine que les Juifs ne disparaissent de cette region historique et bouleversee. Les actes de vie sont toujours porteurs d’esperance et appartiennent au secret des fonctionnements et dysfonctionnements qui entenebrent ou illuminent l’histoire juive. C’est pourquoi la lisibilite est un plus dans un domaine pionnier, inedit.

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s