Sourd et muet 3

La Semaine de l’Unite des Chretiens a Jerusalem s’est poursuivie le vendredi 26/01 par un office animee dans les lieux de l’Eglise syrienne-orthodoxe. Elle unit habituellement trois Eglises monophysites: les Armeniens qui ont invites les Chretiens a venir au debut de la Semaine dans leur magnifique eglise-cathedrale; puis les syriens-orthodoxes et les coptes qui alternent chaque annee les invitations. L’ambiance est toujours tres amicale et l’accueil chaleureux dans les deux communautes. L’archeveque Swarios est un homme jeune, dynamique. Il a ete elu eveque jeune et fut en charge pastorale au Bresil. Il est tres souvieux du developpement de certaines communautes syriennes-orthodoxes en Suede ou travaillent un nombre important de fideles originaires du Proche-Orient. Pragmatique, il a fait edite des livres de prieres modernes, qui estompent peu a peu l’arameen comme langue liturgique, le remplacant par l’arabe. C’est surement regrettable, mais c’est aussi realiste pour eventuellement pouvoir par la suite revenir a une pastole syriaque. Il a recemment, a Rome, une intervention extremement interessante lors du Synode sur l”Eucharistie, soulignant l’heritage de l’Eglise d’expression syriaque occidentale qui a egalement eut un influence importante, avec la tradition de Saint Marc, sur la formation de l’Eglise ethiopienne.

Le choeur, alterne masculin-feminin, a chante de nombreuses hymnes liees a la descente de l’Esprit Saint. La confession des peches rappelle les termes semblables en hebreu : khas warikham aleyn > khus verakhem aleynu – חוס ורחם עלינו. Les Coptes ausurent une partie de l’Office a l’aide d’instruments: cymbales qui donnent une autre coloration a la celebration. Il y a un point tres important: l’archeveque Swarios est reellement un homme de terrain et de pastorale, de theologie vivante et active. Il a un souci pedagogique certain, ce qui est essentiel pour une communaute comme la sienne, mais surtout il ne se paie pas de mots. Un homme d’actions et non de paraitre. Ce fut une etape importante qui redonnait un poids ou du moins une densite reelle aux Eglises orientales.

Le samedi est traditionnellement le jour ou les Chretiens sont recus par l’Eglise ethiopienne. Il s’agit du grand centre situe en haut de la rue des Prophetes (Rehov HaNevi’im – רחוב הנביאים) a Jerusalem, en plein centre ultra-orthodoxe de Mea Shearim.

Le samedi matin, lors de la Divine Liturgie dans mon eglise de Hagios Nikolaos, beaucoup de gens etaient venus en bus speciaux que nous organisons car, apres la Liturgie, ils partent visiter un site chretien ou particulier de Jerusalem ou des environs. Beaucoup de confessions. Nous avons aussi fait memoire de toutes les victimes de la Deuxieme guerre mondiale et de la Shoah selon le calendrier etabli par l’Organisation des Nations Unies pour le 27 janvier de chaque annee. J’ai souvent des ectenies en yiddish. C’est une situation curieuse car, de fait c’est ressenti ainsi, c’est le seul lieu ou il y a des fideles orthodoxes qui spontanement ecouterons une priere en yiddish et feront le repons dans cette langue; une maniere non d’affirmer quelque chose sinon simplement la liberte d’etre soi-meme dans l’Eglise. C’est deja beaucoup. Je n’ai donc pas accompagne les fideles dans leur tiyul – טיול ou visite spirituelle guidee a Jerusalem. Ils ont ete visiter, avec les explications competentes d’un guide qui est l’un de nos paroissiens, un monastere russe connu des bords de Judee.

Je suis arrive a pied a l’entree de la petite ruelle de l’Ethiopie, mais assez en avance. Tout au long du chemin qui passe de la Porte Neuve par le Kikar Safra (Mairie de Jerusalem), la Mission du Patriarcat de Moscou, les batiments de la Cour de Justice, jusqu’a la ruelle, marchaient des Juifs orthodoxes qui se rendaient en couples, en groupes, seuls vers la Vieille Ville vers le Mur Occidental. Comme souvent les regards se detournent ou se font moqueurs, parfois des interrogations qui sortent de la bouche d’un enfant: “mah zeh? – מה זה (c’est quoi? L’idee ne vient qu’apres un certain temps qu’il est question d’un ‘qui’ et non d’un ‘quoi’!)) en designant le pretre. Je me demande parfois si ces memes personnes se permettraient un tel langage dans n’importe quel autre lieu du monde. C’est vraiment fascinant. Il est vrai qu’un enfant israelien qui visite l’etranger decouvre avec un stupeur que les Occidentaux (et les Juifs de la diaspora) ne peuvent imaginer combien ils sont sideres de se rendre compte que des Juifs peuvent vivre ailleurs qu’en Israel et etre cependant Juifs le plus souvent d’une maniere discrete.

Cette fois-ci cinq personnes et deux groupes de jeunes pieux ont ouvertement et intentionnellement crache par terre. L’un d’eux a murmure “Yimkhoq HaShem et shimkha me’olam hazeh – ימחוק ה” את דמך מעולם הזה – Que Dieu efface ton nom de ce monde-ci. Tres spontanement, je leur reponds , de maniere cordiale :”zei gezint – זיי געזינט – sois en bonne sante” en yiddish. A deux occasions, cela a provoque de nouveaux crachats, si bien que j’ai continue en disant a chacun: “… un shtark – און שטארק – et fort!) car la salutation en yiddish est ainsi dans sa totalite: “zay gezint un shtark – זיי געזינט און שטארק – sois en bonne sante et plein de forces!). Habituellement, les gens se souviennent de ce genre de reaction. Et sans trop oser dire quoi que se soit, une sorte de silence melee de prudence et d’interrogation, nous arriverons le plus souvent a nous saluer normalement, sans plus.

Mais il etait trop tot. Pas de banc dans les environs. Je me mets a chercher une pierre ou me poser dans un endroit discret, a l’interieur d’un parking qui est evidemment ferme. Un gamin m’interpelle d’un batiment situe en face des quelques bancs que j’avais repere, amis qui etaient separes par un grillage. “Atah medaber ivrit? – tu parles hebreu?” je ne reponds pas parce qu’il s’epoumonne d’assez loin. Mais comme ils n’ont rien a faire et attendent en fait la fin du shabbat (il y avait encore 1 heure environ), soudain ce sont 6 gamins qui viennent me demander ce que je fais la et les questions habituelles: “qui, que quoi, ou vas-tu?” La discussion est en fait sympa. Je dirais vraiment tres sympathique. Ils ne comprennent pas que j’aie un stylo dans la pochette. Ils ne situent pas. Chretien, oui. Tout de suite l’inevitable “Hayta pa’m yehudi – היית פעם יהודי – tu a ete juif avant”. C’est du a la langue – il y a des mots que ne je peux m’empecher de prononcer de maniere yiddish. Et puis la verite d’un proverbe russo-ukrainien: “svoyak svoyaka uznaiot iz daleka – свояк свояка узнает издалека – le sien reconnait le sien de loin, de meme que l’etranger”. Mais le dialogue s’installe difficilement car ils ne sont pas habitue a discuter avec un chretien. Taper dessus, oui, pas de probleme, surtout pour ceux qui ont habite aux Etats-Unis. L’ancien sovietique m’entendant parler russe reste tres silencieux. Mais ils veulent savoir si je lis des textes religieux, lesquels? Ils sont etonnes – comme toujours – que les chretiens lisent et prient avec les psaumes de David et lisent la Bible. On s’est quitte chacun de son cote de grillage car le temps passait et il etait temps d’aller a l’eglise ethiopienne.

C’est sans doute un des moments les plus emouvants et profonds de la Semaine. Dechausses, l’Office de Vepres ethiopiennes en langue ancienne gheez est cantillees, murmuree comme une priere charismatique doublee d’un ton melodieux et recurrent comme des ondes de reggae. A peine si les mots sont vraiment articules. Ils le sont, mais comme un sifflement doux et paisible. L’archeveque parle tres bien anglais, il a des yeux rayonnants. Visiblement, cette annee, on sent une densite et une perfection. A la fin de la celebration, des femmes ethiopiennes nous recoivent en dansant et jouant sur des tambourins: un usage joyeux et festif.

Enfin, ce dimanche soir, nous etions accueillis par l’Eglise melkite ou, comme a insiste l’eveque Georges Bakar, le vicariat du patriarcat grec-catholique de Jerusalem. L’eglise est magnifiquement decoree d’icones ecrites par deux freres orthodoxes roumains. Comme chez les Ethiopiens, les representants des autres Eglises etaient moins nombreux que les annees precedentes. Les Armeniens etaient absents.De meme que le vicaire patriarcal latin (mais il etait grippe). C’etait la premiere fois que l’eveque intervenait dans cette Semaine. Une assistance nombreuse et traditionnellement internationale. L’eveque impose un rythme tres liturgique; il est discutable sur le plan de la tradition byzantine, mais il rappelle a ses acolytes des attitudes qui s’etaient peut-etre “egarees”. Il preche sur l’Evangile de la resurrection de Lazare. Et souligne que si Lazare n’etait pas sorti du tombeau, qu’auraient fait Jesus et les Juifs et les Gentils (sic)? Mais cette resurrection incite a se mettre reellement au service des pauvres et des malades dans l’Eglise. Et alors il reprend le theme de la Semaine cette annee et suggere de lancer une celebration suivie d’assistance active et oecumenique des Eglises aupres des malades. Il a raison. Enfin… c’est un peu curieux d’ecrire une chose pareille. Mais de fait, nous sommes engonces a l’annee dans un rallye rituel et dont le sens liturgique se perd par un manque d’actions reelles aupres des fideles dans la transmission de la foi, l’aide aux pauvres, le soin des malades. Une personne que je visite regulierement dans un hospice et qui est moine, m’expliqua ensuite combien il etait atterre par le fait que la plupart des Eglises locales ne visitent pas leurs fideles malades. On pourrait nuancer, mais c’est en gros le cas. Proposer une action oecumenique aupres des handicapes – est-ce realiste dans le contexte ecclesial de Jerusalem? Il fut eveque en Egypte, semble-t-il. C’est d’autant plus possible que s’il est de nationalite egyptienne, il a pu obtenir un permis de sejour normal en Israel en raison du traite de paix. Son Patriarche, Gregorios III, est lancien archeveque Lutfi Laham, qui a ete tres actif sur le plan de l’action sociale et d’assistance humanitaire comme un imperatif de la foi chretienne. Il continue d’ecrire et de precher largement sur ce theme et se souvent en Egypte. La “problematique” est tout-a-fait habituelle pour l’Eglise melkite. La maniere dont le sujet etait aborde – avec un sens theologique qui s’exprime rarement dans nos communautes – laisse penser qu’il fera tout pour materialiser son projet.

Oui, l’Evangile de Saint Marc montre comment Jesus utilise sa salive melange de terre pour rendre la parole et l’ouie a une poterie de chair (Isaie 41, 25). Que faudra-t-il pour que le monde pieux juif – et en soi Israel d’une maniere ou d’une autre – puisse reconnaitre dans les Chretiens une extension inouie et immense du judaisme, sous une forme originale? Mais sans utiliser la salive contre un habit-apparence. Fadyeh Lovsky, dans son beau livre paru en 1955 “Antisemitisme et Mystere d’Israel” (Albin Michel) suggerait qu’il faudrait que les Chretiens incarnent le seul commandement de l’Amour pour que les Juifs reconnaissent en eux quelque chose de Dieu. Cela reste vrai, peut-etre bien plus sensible et palpable ici, en Terre Sainte – a cause du combat qui continue d’etre mene contre le Malin.

Le “Malin – Diavolos – Evil – Satan – Bisho – Lukavoi” n’est pas telle ou telle frange de notre societe. C’est cette force sournoise et persistante meme a Dieu de la maladie, de la souffrance. Curieusement, ce soir-la la maladie d’Eve, ma fille, et mon choix d’etre au service d’une communaute totalement inarticulee et d’ainsi prier pour elle a fait echo a ce qu’elle vivait a cette heure ou l’eveque suggerait son projet “handicap”. A Jerusalem, la Foi au Dieu Vivant et donateur de Vie n’est pas “avec-et-contre” qui que ce soit. C’est affronter la douleur en ce que Dieu deploie bien plus que nous ne voulons comprendre. L’Eglise est comme Lazare qui se delie, comme se delie l’homme sourd et muet. Parce que nul n’est proprietaire de Dieu qui, sans relache, propose de denouer et de liberer. “Dieu m’avise et je l’avise” disait le saint Cure d’Ars qui a mene une lutte “sacramentelle” contre le Malin, son grappin. Telle est notre situation de croyants.

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s