Eglise et Israel (2)

Suite de la première partie editée le 23 août. Ce texte a été publié initialement dans la circulaire "Itonit" N° 20 parue voici deux ans. Les réflexions émises alors correspondent à l’évolution dramatique que connait la société israélienne en raison de la guerre; il faut aussi tenir compte de l’évolution rapide des tensions qui existent entre le Patriarcat de Moscou (Russie), l’Eglise Hors-Frontière (Church Abroad) et la situation, des Chrétiens orthodoxes d’Israël qui dépendent du Patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem.

Il était inévitable
que l’afflux massif de personnes venant de pays de longue tradition chrétienne,
n’entraîne une sorte de rejet du pays et du désir d’assimilation, par le biais
de certaines formes. La venue des Ethiopiens – dont la véritable origine judaïque
est peu probable sur le fond – a créé des tensions sur l’identité afro-juive.
Les Ethiopiens chrétiens utilisent la Bible orthodoxe en gheez et affirment
leur identité tant juive que chrétienne, ainsi que la présence de leur clergé.
L’Eglise éthiopienne de Jérusalem est très
discrète sur ses contacts avec cette population. Mais il reste une cohérence
sociale, historique et linguistique tout à fait remarquable, bien que
problématique, pour les jeunes qui ont été éduqués en Israël et doivent se
libérer de certains carcans. Les airs de gazelles des jeunes filles
éthiopiennes provoquent cependant des rejets, d’une forme de racisme qui
devrait s’estomper au cours des prochaines décennies.

Mais il faut noter que la venue de population d’Ethiopie et
celle des Falashmuras, ostensiblement chrétiens et dont la venue est pour
l’instant suspendue, s’est produite dans un contexte spirituel cohérent, sans
renouveau spirituel « inattendu », comme celui de la Foi en ex-URSS,
et sans un choix perturbateur sur l’appartenance à telle ou telle nation.

Le peuple juif a une
longue expérience d’une sorte de « double, sinon triple appartenance ou
référence religieuse » en diasporas. C’est pourquoi il est indispensable
de comprendre les fondements de la loi israélienne, qui garantit à tout citoyen
une totale liberté de « parole [dibbur], de conscience/foi [dat] »
[Loi 140/1977]. En revanche, le délit d’ « antishemiyut » est le
plus grave et le plus sévèrement puni. Cela se comprend, car cela va à l’encontre
du socius israélien, mais c’est aussi le résultat d’expériences très négatives,
faites au cours de l’Histoire et dans divers paysages. Même si, comme nous
l’avons indiquée plus haut, la tentative de conversion a été exercée dans un
but apparemment positif.

Il faut remarquer que
la Loi juive ne distingue pas « antishemiyut » de
« antiyahadut » [antijudaïsme], terme pratiquement jamais utilisé. Le
terme « antisémite » est récent et date du XIXe siècle viennois. Le
maire de la capitale autrichienne, Karl Lueger est le premier à avoir utilisé
ce mot avec violence contre la communauté juive.

 Il faut peut-être
considérer que l’Etat d’Israël a une raison particulière d’amalgamer deux
notions que la théologie chrétienne tente de distinguer. En effet, la négation
du caractère juif en tant que « antisémitisme » est bien antérieure
au christianisme et s’attaque, tant à l’identité judaïque reliée habituellement
à la religion, qu’à la communauté juive en tant que Bney Shem [Fils de Shem].
Toute atteinte à cette identité à double volet est perçue comme la négation des
Juifs, tant en Eretz Israël [Terre et Etat d’Israël] qu’en diasporas
[Galuyyot]. L’attention portée au respect de cette loi est d’autant plus
sensible que les atteintes portées contre les communautés juives se multiplient
un peu partout dans le monde, sous des formes et pour des raisons diverses, et
que l’Etat hébreu considère de son devoir de venir en aide à toute communauté
mise en difficulté.

Pendant longtemps on
a considéré que le « missionariat » chrétien constituait une violation
de la loi garantissant la liberté de conscience. Il faut surtout s’interroger
sur une autre forme de violation de la loi israélienne : le comportement
« antishemi » [antisémite et antijudaïque] des communautés
ecclésiales présentes dans l’Etat d’Israël, qui se manifeste par leur opacité à
la reconnaissance de la réalité israélienne. Est-ce une accusation gratuite, ou
bien une réalité très subtile qu’il faut aborder avec beaucoup de prudence et
de discernement ?

Des exemples concrets d’interrogation

Les Eglises se
comportent le plus souvent en référence à une identité d’origine précise. Ainsi
les Coptes s’adressent à Jérusalem à une population uniquement arabe ; les
Arméniens ont des représentants de vieilles familles de la Vieille Ville de Jérusalem
ainsi que d’autres cités, mais aussi des personnes venues au moment du génocide
arménien de 1915, des nouveaux immigrants issus de mariages mixtes et des
étudiants en provenance d’Arménie indépendante parlant souvent le Russe.
Pendant de nombreuses années, les Arméniens ont assuré une pastorale
essentielle auprès des Orthodoxes israéliens venus de l’ex-URSS. De même les
Ethiopiens, les Syriens orthodoxes [nommés en hébreu « Ashurim » ce
qui les distinguent des Arabes], etc. Le Patriarcat latin est très majoritairement
arabe avec de nombreuses personnes originaires du monde entier. Mais la langue
vernaculaire reste l’arabe, le français ou l’italien, en raison des écoles
religieuses locales. Les Grecs melkites sont essentiellement des Arabes, mais
l’ouverture sociale, policulturelle de Mgr. Lutfi Laham, ancien archevêque à
Jérusalem, devenu Patriarche Gregrorios III des Melkites à Damas, a attiré un
nombre significatif de Libanais, Allemands, Anglophones, Français. Il avait
ordonné prêtre un israélien aujourd’hui enseignant dans une faculté à
l’étranger.

Il est certain que,
dans ces Eglises, la réalité de l’Etat et de la société israélienne s’est
davantage imposée qu’elle n’a été perçue comme une composante naturelle
[ » native »] de l’identité ecclésiale en Terre Sainte. Un
exemple : A Jérusalem, une pharmacienne me parle le plus souvent en
hébreu. Cette femme née à Jérusalem, éduquée au Brésil et au Canada, est
revenue à Jérusalem où elle est devenue pharmacienne et médecin de la Kupat
Holim [Sécurité sociale]. Elle a deux fils qui ont plus de 20 ans. Le premier,
plus âgé, parle mieux l’arabe que l’hébreu et est avocat et pharmacien. Le
deuxième parle mieux l’hébreu que l’arabe mais le lit et l’écrit difficilement. Cette femme a perdu son mari il y
a de nombreuses années. Ils étaient Grecs orthodoxes de langue arabe. Elle a
trouvé un certain temps un accueil dans l’Eglise anglicane, que la famille a
quittée en raison des péripéties de cette communauté. Ils fréquentent désormais
les Baptistes de langue anglaise, mais aussi ceux d’expression hébraïque, tout
en essayant de garder un lien spirituel avec l’Orthodoxie.

Lorsque nous avons
fait connaissance, elle a tout de suite compris et accepté le fait que je sois
au service de chrétiens orthodoxes israéliens, et, acceptant aussi ma judéité,
elle me parle tout à fait naturellement hébreu. Nous passons à l’anglais
lorsque des clients arabes entrent, mais pas toujours, car tout se sait dans ce
petit monde, et je peux facilement avoir une conversation simple en arabe. Une
sœur libanaise est un jour entrée et m’entendant parler hébreu avec la
pharmacienne ; elle m’a regardé, a pris une mine étonnée et
« défaite », et est sortie. Mais la pharmacienne et ses fils
continuent de parler en hébreu, considérant que c’est un fait socialement
acquis et avec une certaine connotation spirituelle. Au demeurant, certains
juifs pieux sont également sortis ou ont détourné la tête ! Or l’hébreu
n’est pas l’apanage du peuple juif, ni de l’Etat d’Israël qui est polyculturel
et multinational par définition. Est-ce-que le comportement de la religieuse
libanaise constitue un fait « d’antishemiyut », mais alors le juif
pieux « qui s’interroge » est-il virtuellement aussi en train de
développer ce syndrome inverse, alors qu’en apparence la question ne se
poserait pas ?

Autre exemple :
je suis toujours et partout en soutane byzantine. Il est vrai que je suis le
seul prêtre orthodoxe à sortir avec une parka et à ne porter que la
« skoufia », ou chapeau simple qui ressemble à certaines coiffes masculines
orientales. Je ne suis en grand manteau clérical, et ne porte le chapeau grec
presbytéral que pour les fêtes ou certaines visites. Donc un look disons
« aéré ». En général, on refusera de me parler hébreu. Cela s’arrête
immédiatement lorsque je demande à la personne si elle est une nouvelle
émigrante qui doit aller d’urgence faire un stage dans un oulpan [apprentissage
de l’hébreu] ! Ou bien : « Tu ne parles pas hébreu du
tout ? » Il y a alors comme un toussotement gêné. L’habit ici fait
l’identité et surtout l’étranger. En revanche, les Russes m’adressent
spontanément la parole en russe, et certains ont du mal à comprendre pourquoi
je tiens tellement à discuter avec des Israéliens dans une autre langue. Dans
une épicerie tenue par des ex-Soviétiques, ceux-ci ne me parlent qu’en hébreu,
car j’appartiens au Patriarcat local de Jérusalem – « cela te distingue
des gens du Migrash ["compound" russe de la Mission de Moscou] – , mais les
magasiniers sont arabes et ont du mal à comprendre que nous parlions la langue
« des Juifs ». L’affaire se corse lorsque je parle yiddish avec le
vendeur de vêtements et d’objets pratiques de l’Armée, bien que la marchande de
cartes téléphoniques marocano-israélienne écoute ce dialogue en affirmant que
« C’est bien ça Israël ! ».

La question devient
beaucoup plus intéressante au Patriarcat Grec Orthodoxe. Sept prêtres ont fait
leurs études à l’Académie de Leningrad, sous la direction du Métropolite
Nikodim, ancien recteur de la Mission de Moscou à Jérusalem, métropolite de Leningrad
qui est mort dans les bras du Pape Jean-Paul Ier. Ces prêtres parlent russe,
arabe mais ne font pas, ni ne veulent faire de rapport entre les 300.000
fidèles israéliens ex-soviétiques et l’hébreu qu’ils font mine d’ignorer, et surtout le fait que ces fidèles ne sont
plus russes mais israéliens !

Dans ce contexte,
j’ai imposé il y a 5 ans, sans jamais céder, ni à l’insulte ouverte ni à la
médisance, que les portiers généralement arabes accueillent les fidèles
d’expression russe en hébreu. Les Arabes trouvent cela naturel. Lorsque je
signe un document du Patriarcat, je le fais toujours en hébreu. Certains
hiérarques ont émis des réserves : étant russe je dois signer en russe. Je
n’ai rien répondu : le Patriarcat grec est certes territoire grec, mais
dans l’entité juridique et étatique israélienne dont il dépend. Curieusement,
la patience, la souplesse et la tolérance permettent, très lentement,
d’entrouvrir une porte que le Patriarcat se doit d’accepter, pour peu qu’on le
lui propose avec le sens chrétien de l’amour et de la patience, et en agissant
en accord avec sa logique et non en agissant malgré ses membres.

Peut-on parler ici d’ « antishemiyut » ?
Il semblerait normal de répondre que c’est une évidence. Il faut en apporter
une preuve tangible ! Pourquoi ? Il y a dans les Eglises, un article
du Droit Canonique important, plus clair en Occident qu’en Orient :
« Il n’y a pas de péché sans conscience d’avoir commis un péché ». Si
nous avons pris conscience, par des circonstances sociales et culturelles
particulières, qu’un mal doit être combattu, l’on ne saurait imposer mentalement ou intellectuellement à quiconque, ce
qui nous est une évidence et reste masqué à une communauté. Il y va de la
pédagogie de l’amour et du pardon chrétiens [et juifs d’ailleurs]. Il y a des
temps et des délais. Il y a aussi des temps pour exercer des pressions, avec
profit réciproque, mais toujours dans ce pardon et cette patience.

De même, il est évident que
l’ « estrangement » ou éloignement spirituel et culturel progressif,
qui s’est produit entre les mondes chrétien et juif, a créé des rejets, qui
posent des questions véritables aux Eglises présentes dans l’Etat d’Israël, à
leurs administrations, à leur clergé, mais aussi à leurs fidèles. Dans le cas
des Chrétiens orthodoxes qui sont arrivés en nombre depuis plus de dix ans,
aucune Eglise n’a pu relever le défi de la reconnaissance du fait juif dans
l’Eglise, alors que les Juifs sont les « natives » de l’Eglise. Il
s’est en outre produit un autre phénomène : une dichotomisation de
l’identité des personnes, qui peut souvent poser des problèmes graves, des
malaises sociaux et autres, qu’il faut prendre en compte.

Il y a plus de quatre ans, j’ai
reçu au Patriarcat de Jérusalem une femme d’environ 70 ans, juive d’Ukraine.
Elle affirmait ne pas supporter la société israélienne et désirait recevoir le
baptême, afin de pouvoir librement, selon elle, rejoindre l’Eglise et la
culture russe et slave. Au bout de quelques minutes, elle s’est mise à me
parler en yiddish. Comme je lui demandais de me montrer sa carte d’identité
afin de constituer son dossier, elle m’a dit qu’elle ne me la donnerait
pas ; elle n’avait confiance qu’en Dieu. J’ai eu beau lui expliquer qu’Il
nous avait créés à Son image et à Sa ressemblance, que nous n’étions pas en
régime communiste etc., rien n’y fit. Comme elle pleurait en russo-yiddish, je
lui ai dit de s’adresser exceptionnellement à la Mission orthodoxe de Moscou,
qui doit normalement ne donner les sacrements qu’avec la bénédiction du
Patriarche local, donc de Jérusalem.

Elle y fut baptisée. Je l’ai rencontrée
deux ans plus tard au centre commercial. Elle s’approche et me dit :
« J’aurais dû vous écouter et me faire baptiser par vous ».
« Pourquoi ? ». Elle m’explique qu’elle avait été baptisée à la
Mission du Patriarcat de Moscou, mais qu’on lui adressait rarement la parole.
Puis elle me dit que vivant seule, elle avait souhaité entrer dans un monastère
pour s’y consacrer à la prière et aider à l’entretien. Selon ses dires, qui me
sont confirmés souvent par d’autres personnes, on lui a répondu :
« Tu n’es pas russe, tu es juive et israélienne ; il n’est pas
question de te prendre ».  Or ce même prêtre avait accepté de la
baptiser ! Le terme employé pour décrire sa judéité était insultant. Au
fond, l’accueil orthodoxe classique par un clergé, montrant ouvertement son
hostilité, puis sa « pseudo » insertion dans l’Eglise et ensuite son
rejet, sont symptomatiques d’une profonde incompréhension mutuelle.

* La Mission de
l’Eglise Hors Frontières [ou en Exil] du Mont des Oliviers a ainsi intégré
quelques moniales qui font tout pour effacer leur caractère juif d’origine, et
l’antisémitisme y est « naturel » car séculaire et jamais remis en
question. Cette situation est d’autant plus dramatique que ces lieux attirent
par définition les Israéliens désireux de comprendre la tradition orthodoxe et
chrétienne.

Les Eglises russes
présentes à Jérusalem ne sont pas en mesure d’assurer l’inculturation des
fidèles orthodoxes qui sont citoyens israéliens, car elles maintiennent, dans
un contexte souvent difficile, la permanence de l’héritage russe, slave, en
langue slavonne. Les fidèles israéliens ne sont pas considérés comme tels, mais
comme des Russes. Ce qui était toléré après la Révolution de 1917 est
totalement inadapté aujourd’hui.

Le Patriarcat de
Jérusalem n’a pas développé,– pas plus que les Eglises catholiques ou
protestantes -, d’inculturation véritable depuis 30 ans. Tout d’abord, il
serait indispensable de dépasser un « jeu » politique, qui consiste à
opposer les sociétés chrétiennes arabe et juive. Cela peut s’estomper par le
fait que certaines ukrainiennes, légalement israéliennes et orthodoxes,
trouvent actuellement mari en milieu arabe, grec, ou arménien. Mais, dans cette
hypothèse, c’est non plus la culture ou la langue russe qui prévalent, mais le
grec, plus rarement l’arabe, ou l’arménien. Souvent l’hébreu devient la langue
familiale et la partie slave exigera le déménagement du ménage vers la ville
juive. Or, on ne construit pas par « usurpation » spirituelle d’identité
et sans assurer une catéchèse, ni expliquer la foi.

Souvent des
Israéliens demandant le baptême sont baptisés rapidement en grec. Les adultes
doivent alors signer [selon le Droit canonique] un document rédigé en
grec : ils s’engagent ainsi à renier la foi, les mœurs, la culture et les
comportements juifs et tout acte religieux judaïque. La plupart des personnes
dans ce cas ont perdu leurs contacts avec leurs amis juifs et israéliens ;
ils se sont marginalisées mentalement, spirituellement, et humainement ;
ils ne peuvent plus manger cachère, alors que c’est une règle élémentaire dans
le pays. C’est une grave méprise spirituelle, car contraire à l’unité acquise
en Jésus-Christ [Ephésiens 2, 14-16].

La Fête de Pessah
tombe par définition pendant le temps du Grand Carême pour les Orthodoxes.
Est-il alors possible de participer, avec la famille de confession juive ou des
amis, au Seder de Pessah ? De manger des pains azymes ou matzot ? On
compte par unité les prêtres qui levent cet « interdit », et je le
fais toujours sous le couvert de mon confesseur et donc du Patriarche. Mais,
dans une société chrétienne déstabilisée, il arrive que certaines personnes
aillent consulter d’autres prêtres [2 ou 3], et finissent même par être
« excommuniés » pour avoir "immigré dans un pays de Juifs qui ont mis
à mort le Seigneur" [sic].

De ce fait, il
devient interdit de pratiquer la circoncision sur les enfants nés israéliens,
alors que le 1er Janvier reste, dans l’Eglise orthodoxe, la Fête de
la Circoncision du Seigneur, et que nous chantons pendant deux heures son
« Hagia Peritomia » [Sainte péritomie]. Il est impossible d’assister
à la circoncision d’enfants de parents, d’amis, de collègues de travail ;
de même il est interdit de se faire circoncire alors qu’on est juif et que
c’était impossible en régime communiste. Or, la décision du Synode de Jérusalem
[Actes des Apôtres 15] prononcée par Jacques, juif et premier évêque de
Jérusalem, s’adresse aux Gentils, aux
personnes non-juives et ne remet pas en cause la validité pour l’Eglise Mère de
Jérusalem de la Loi et des coutumes juives.

De même, il devient
tres difficile d’assister aux funérailles de membres de sa famille de
confession judaïque. C’est, potentiellement se placer dans une situation
d’excommunication ou d’interdit de recevoir la Sainte Communion. Cela donne
lieu à toutes sortes de « combinazioni » tortueuses. Par ailleurs,
pour être enterré comme chrétien orthodoxe, le futur défunt doit fournir son
certificat de baptême. Celui-ci est généralement inexistant. On peut aussi
écrire un testament précis, d’ailleurs reconnu par le Ministère des Cultes,
accord que j’avais obtenu, il y a 5 ans. Mais les gens n’y pensent guère ou ont
peur de s’affirmer. Ils font mine d’ignorer que les attentats peuvent frapper
n’importe qui. Venant un jour enterrer une femme à Beersheva, je vois sortir
une famille en larmes et désemparée : c’est un rabbin qui avait assuré les
funérailles, car il n’y avait aucun document affirmant la foi du défunt. Ils se
précipitent vers moi et me supplient d’aller au moins dire une prière en slavon
sur la tombe. Le rabbin [oriental] s’approcha et me dit son plaisir de me voir,
car il était très ennuyé par cette situation. Nous avons prié ensemble en
slavon et en araméen [Qaddish].

Il devient aussi impossible
de prier pour les victimes des attentats, pour des malades, des parents,
puisque le prêtre demande par avance si, sur les listes de noms que le fidèle
lui remet, ces personnes sont orthodoxes ou non ; il est impossible de
prier pour les Juifs ou des personnes d’autres confessions. Que faire, dès lors, en temps de guerre quand tant de soldats sont effectivement de confession chrétienne orthodoxe au sein de l’Armée israélienne?

Par ailleurs, en
vertu d’un article des premiers siècles chrétiens, il est normalement interdit
à une personne orthodoxe chrétienne de se faire soigner par un médecin juif.
Certains moines et moniales se livrent alors à une véritable acrobatie
spirituelle pour éviter tout contact avec les hôpitaux, y compris les soignants
de langue russe. Ce fait est minoritaire, mais il permet souvent à des médecins
chrétiens orthodoxes d’origine juive, israéliens, de se constituer une clientèle,
parallèle aux structures habituelles. C’est également un réflexe classique de
personnes déplacées et de migrants.

L’Eglise, ou du moins
certains de ses représentants, ont une tendance trop pressante à libérer, par
l’octroi d’un certificat d’appartenance paroissiale, les jeunes orthodoxes qui
refusent de faire leur service militaire. C’est contraire à l’Evangile, qui
requiert la reconnaissance des gouvernants et des autorités locales. Mais
surtout, cela place ces jeunes dans une situation très difficile : l’Armée
israélienne est un véritable melting-pot. Elle brasse toutes les races et les
origines. Fait souvent ignoré : elle demande aux soldats [e] s
de prêter serment sur la Bible hébraïque pour les Juifs, sur le Nouveau Testament
pour les Chrétiens, et le Coran pour les Musulmans qui existent bel et bien
dans cette institution. Il faut aussi leur expliquer souvent que l’armée n’est
pas seulement un corps de combat, mais de compréhension en profondeur de la
société israélienne, et donne la possibilité de trouver une profession ou de
faire des études. Les guides de l’Armée sont les plus remarquables pour leurs
explications positives des Lieux Saints et des Traditions chrétiennes. En ces temps de guerre et de désarroi, il serait urgent d’assurer, pour tous, un accompagnement spirituel adapté, cohérent et non-systématisé. Tous les soldats – toutes confessions confondues – dépendent du Rabbinat militaire.

Nous avons évoqué la
question de la circoncision. Il y a aussi la question de savoir si un chrétien
orthodoxe israélien d’origine juive peut devenir bar mitzvah à l’age de 13 ans.
Soyons francs : cela se produit souvent en cachette, ou donne lieu à des
scènes de ménage ou de famille insensées. Mais la question est pertinente :
elle interroge sur une compréhension en profondeur du mystère chrétien. De
même, il est évident que, dans un pays où la vie est rythmée par le cycle des
shabbats, faut-il se tenir systématiquement à l’écart des lectures du Shabbat
et de la fréquentation des yeshivot [écoles talmudiques] ? Là aussi,
certains le font en cachette. Il y a une ignorance profonde et persistante de
la Kabbale, alors que cette tradition est vénérable pour le judaïsme, et n’a
rien à voir avec les superstitions basses et antisémites qui sont colportées
par des « fidèles » incertains.

Les étudiants et les
jeunes sont tres assoiffés d’un dialogue ouvert, auquel l’Eglise se doit de
répondre de la manière la plus appropriée.

Cette situation, totalement
inédite, très riche et dense, est porteuse de beaucoup d’éléments qui peuvent
apparemment effrayer au premier regard. Elle doit interroger l’Eglise orthodoxe
et ses fidèles. Ceux-ci ont vécu une situation singulière au niveau historique,
et il appartient au Patriarcat de Jérusalem, en tant qu’Eglise locale et Mère
de Toutes les Eglises, de relever le défi de cette inculturation, selon la
tradition la plus ancienne des communautés chrétiennes.

Il est clair que ces
quelques exemples montrent l’extrême distance qui existe, au sein de la société
israélienne, entre un monde juif et israélien très assimilateur et des Eglises
qui traversent des crises graves.

 

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